Quelle a été votre réaction quand les éditions Fordis vous ont proposé le projet de reprendre la série « Michel Brazier » initiée par André Chéret et Jean-Michel Charlier ?

Christian Godard : Oh, ma réaction a été tout à fait habituelle. C’était la première fois qu’on me proposait d’adapter un feuilleton télévisé, et du coup, cela m’a tout de suite très intéressé. À chaque fois que j’ai la possibilité de me retrouver en position de faire quelque chose « pour la première fois », cela me ravit d’avance.
Mankho : J’ai été surpris et évidemment heureux et très fier.

Comment vous êtes-vous rencontrés, sur ce projet ? Est-ce bien François Corteggiani qui vous a présentés ?

Christian Godard : Initialement, c’est mon ami Chéret qui devait s’y mettre. Pour différentes raisons, il a décidé de passer la main. Donc, il a fallu trouver un remplaçant à André, ce qui n’était pas vraiment une mince affaire. Effectivement, c’est François qui nous a proposé Mankho, que je ne connais pas personnellement, et notre éditeur a dit OK.
Mankho : Oui, c’est par l’entremise de François et de Salvatore Biddau que je l’ai rencontré ou, plus exactement, que j’ai parlé au téléphone avec Christian Godard.

Se mettre dans la peau de ce fabuleux raconteur d’histoires qu’était Jean-Michel Charlier, n’est-ce pas une gageure ? Trouve-vous que Charlier était bavard dans ses séries ?

Christian Godard : Il était impossible d’imaginer ce que Charlier aurait fait s’il avait eu la chance d’être là pour s’en charger. J’ai très bien connu Jean-Michel Charlier, et je peux dire que nous étions amis. Cela étant, il avait son style, et il n’était pas question d’essayer de l’imiter. L’écran et la page d’un album sont deux choses très différentes.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières à adapter le feuilleton télévisé « Les Diamants du président », d’où est tirée cette série ? Faire une adaptation, est-ce si différent d’écrire un scénario original ?

Christian Godard : Ce n’est pas facile du tout d’adapter un feuilleton télévisé. Plus que compliqué, même. L’obstacle principal à vaincre, c’est que, quand le feuilleton passe sur l’écran, vous n’avez pas le temps de réfléchir, le rythme vous est imposé, l’action se déroule au rythme de ce qu’a voulu le réalisateur. Dans une BD, c’est juste le contraire, si quelque chose cloche, le lecteur a le temps de revenir dessus, de réfléchir, et de deviner ce qui cloche. Il faut donc l’éviter de préférence, et parfois gommer les invraisemblances. Faire une adaptation est totalement différent d’un scénar » original, et beaucoup plus difficile.

La reprise graphique de « Michel Brazier » a-t-elle été un challenge difficile à relever ? Dans quel état d’esprit succède-t-on à ce virtuose du dessin dynamique et athlétique qu’est André Chéret ? N’est-ce pas un peu angoissant ?

Mankho : Angoissant ?!… Eh ben, quand on y réfléchit bien… Un peu quand même !!! Cependant, je définirais mon dessin, de réaliste franco-belge, mais il est très différent de celui d’André Chéret, donc je ne cherche pas à l’imiter… Et je m’en garderai bien. Je ne suis qu’un petit scarabée à côté du talent de Chéret. Il y a aussi l’immense plaisir de dessiner, plaisir qui submerge et balaie tous les états d’âme. Quand on se met réellement à sa table à dessin et à travailler, on a l’esprit occupé à faire du bon boulot.

Quelle est votre manière de travailler ? Vous êtes-vous appuyé sur le travail de Chéret pour les personnages et les décors ?

Mankho : Oui, bien sûr. Je parcours régulièrement le tome 1 pour voir comment sont les costumes, les allures des personnages, etc. Il faut que le lecteur retrouve les caractéristiques, les « gueules » des principaux héros de la série. Le scénario de Christian Godard est assez précis. Dans mon travail, je procède généralement de la même manière. Je fais d’abord une légère mise en place de la planche, cadrage, format des cases, attitude générale des personnages. Puis, je lis ma planche pour voir si la narration est fluide et compréhensible. J’affine quelques traits ou détails. Après, s’il y a besoin, pour les costumes, les véhicules, les armes, des bâtiments particuliers, je me documente. Et donc je reprécise mon trait pour le finaliser. Là, je peux l’encrer… Mais je ne le fais que plusieurs jours, voire, semaines après, car entre-temps je crayonne les planches suivantes. Cela me permet d’avoir un certain recul sur mon crayonné et de retoucher, si besoin est, quelques défauts dans les équilibres, les masses, les répartitions de volume ou de vide. L’encrage est assez rapide, j’encre au pinceau et à l’encre de Chine, j’aime ça, parce que c’est voluptueux et dangereux…

Avez-vous regardé le feuilleton télévisé « Les Diamants du président » (dont « Michel Brazier » est l’adaptation en bande dessinée) pour vous imprégner de la série et vous en servir comme base de documentation ?

Mankho : Oui, mais cela m’aide moins pour la doc que pour l’ambiance, l’atmosphère des années 1970. C’est une époque qui, désormais, est devenue historique. J’aimerais donner à la série l’impression d’y être ! Pour la doc, maintenant, on trouve presque tout sur Internet.

Vous avez commencé l’adaptation il y a environ deux ans, où en êtes-vous aujourd’hui ? Comment se passe votre collaboration avec Mankho ?

Christian Godard : Nous sommes en cours. Personnellement, j’ai fini d’écrire l’album. Le deuxième titre (le troisième dans la série) est également terminé. Le fait que Chéret ait décidé de descendre de la barque en cours de route nous a fait perdre un peu de temps, et je n’ai vu que les planches crayonnées de Mankho. Il n’y a pas de raison que cela se passe autrement que bien.

L’adaptation est prévue sur quatre albums au total, y compris le premier dessiné par André Chéret. Le rythme est annuel et nous entraîne jusqu’en 2020. Votre premier titre (« Rendez-vous en enfer ») doit paraître en novembre de cette année, où en êtes-vous actuellement ?  

Mankho : Je termine le crayonné de la planche 19. Je tiens un bon rythme pour honorer les délais.

Quelle est votre actualité en dehors de « Michel Brazier » ? J’ai lu quelque part que nous allions retrouver « Martin Milan », me trompais-je ?

Christian Godard : Oui, vous êtes bien informé. Le Lombard est en train de préparer l’intégrale de « Martin Milan », et je suis finalement sollicité pour faire une nouveauté. Il va falloir que je m’y mette bientôt. Je me dis ça tous les matins.